Théâtre


Disputation

en 3 actes, avec Prologue et Épilogue, d'environ 2 heures

écrite de mai à décembre 2015


...Situation :

Un humain, après sa mort, se retrouve face à un ange et un démon, lesquels doivent déterminer qui obtiendra son âme. Or l'humain en question rejette cette dualité manichéenne et entend conserver son âme pour lui seul, fuyant le Paradis comme l'Enfer, pour gagner le Vide infini. Chacun plaide sa cause dans une âpre disputation.

...Personnages :

l'Humain : C'est un homme ou une femme d'âge mûr, sans critère particulier.
-
Costume : vêtu selon l'usage du lieu et du temps
.


L'Ange et le Démon : 
Le sexe de ses rôles sera déterminé à l'opposé de celui de l'Humain
. Ils seront jeunes et plutôt avenants, si possible se ressemblant, avec une allure (maquillage) androgyne.
-
Costumes :
stréréotypés : l'Ange ayant une aube blanche, une auréole dorée et des ailes, tandis que le démon sera en moyenâgeux : poulaines rouges, collants noirs, justaucorps rouge et châpeau noir (pointu devant) avec une grande plume rouge.

...Décor :

Encore indéterminé, mais sommaire.

...Texte :

Celui de l'Humain est en vert, de l'Ange en bleu et du Démon en rouge ; les didascalies en noir.
Le signe : « / » indique un temps de silence.

-

Au Prologue,

chacun des personnages vient successivement faire un monologue de (moins de) 10 minutes,

dans l'ordre d'apparition des scènes : démon, ange, humain.

À titre d'exemple, voici la première :

Prologue

    Scène 1

Le Démon commence à crier du dehors, puis à déblatérer avec exagération ses imprécations d'une voix forte, dès en entrant (à cour) d'un pas vif, pour ensuite marcher de long en large, avec une gestuelle en rapport (désignant souvent le public, çà et là) :

Par les putains de petits saints encombrant les Enfers de leur mesquineries présomptueuses ! Par les pourritures de vertueux proclamés, croupissant dans l'immondice de cloaques abyssaux... Par les maudites saloperies de gens biens comme il faut, dont on ne sait plus que foutre de leurs belles âmes, tout aussi répugnantes et poisseuses qu'une serpillière de bordel à soudards ! [moins emporté] Par tous les damnés de la Terre, couchés sans espoir de jamais pouvoir se relever, écrasés du lourd pesant de toutes leurs infectes dégueulasseries...

Par tous les favorisés, que ce soit : en biens matériels, en capacités intellectuelles, en santé ou encore en beauté ! (tu parles que ça compte...) lesquels n'en ont tiré qu'un parti essentiellement tourné vers eux-mêmes, pour jouir un peu plus – toujours plus ! – de trésors qu'ils croyaient acquis... En vérité, je vous le dis : vous perdrez tout ! / sauf la conscience aiguë de votre déchéance... /

[geste significatif, comme s'il se souvenait subitement] Oh, j'aurais garde de ne pas oublier les défavorisés, dans tous les domaines cités, et toutes sortes d'autres, car eux me font peut-être plus encore horreur que les nantis. Car enfin, ils savaient de quoi il en retourne, de la misère, des épreuves, du désespoir, et de tout ce qui abaisse, humilie, meurtri, fait souffrir, souvent, longtemps. Et cela a changé quoi ? Pas grand chose, si ce n'est : rien. Si ce n'est pire ! car leurs peines leur servent d'alibi : [grotesque] « Je ne peux pas avoir fait beaucoup de mal, vu que j'en ai tant subi ! » Or l'on voit toujours les discriminés s'en prendre à d'autres... des pires qu'eux ! Tandis que les rares qui s'en sont sorti trouvent cet état des choses somme toute assez normal. Rien ne l'est ! Pas plus les faveurs que les malheurs. La seule chose qui serait normale, c'est que vous soyez effacés à tout jamais de la Création ! dont vous êtes tous indignes.

Je vous dégueule, tous et toutes autant que vous êtes, ici ramassés, dans un confort de pensée inerte, amusés de mes pitreries que vous prenez pour une farce. / Bah ! Vous verrez bien... et rira bien qui vous verra derniers ! Et derniers d'entre les derniers, parce que vous, au moins : vous aurez su ! puisque je vous l'aurai dit. Et quoi : vous n'aviez qu'à pas venir... Maintenant : c'est trop tard ! Trop tard, comme quand on se retrouvera, bientôt ! et qu'il ne sera plus temps de vous chercher des excuses, même sincères ! ni d'avoir des regrets, ou de tenter les implorations, les appels au pardon... [mimant, les bras et la face tendus vers le Ciel] « Des Profondeurs je crie vers Toi, Seigneur ! » / Mais qui pourrait t'entendre, ridicule petite vermine humaine, rampant dans la fange d'où tu n'aurais jamais dû sortir, où est la vraie place de ta méprisable condition ? Qui pourrait percevoir le filet gluant qui te reste de voix, au fond du trou du cul merdeux où tu gis, ad æternam in æternam, pour une éternité... dont tu n'as pas idée ! [criant] Moi si ! j'en ai idée. Et même assez précise. Ça promet. / Qu'est-ce que tu croyais ? Que l'univers visible et invisible était à ta mesure ? À ta mesure, il y a le monde ! C'est ta gamelle, en quelque sorte. / Te plains pas : d'autres ont eu droit à bien pire... et s'en sont mieux sorti que toi ! [il rit] Ah, ah, ah... Moi, je me marre, mais pour vous : ce sera fini de rire...

Oh, ce n'est pas la peine de me regarder comme ça... moi, je ne vous ferai rien ! Et mes congénères non plus. / Ça vous étonne ? Mais ces histoires de visions infernales où les humains endurent toutes sortes de tourments, ne sont que des lubies d'artistes ! quel que soit leur talent. Dans la réalité (si l'on peut dire), c'est toi seul qui te feras souffrir ; et sans rien faire ; rien faire d'autre que de revivre les mesquineries de ta petite vie minable, avec toutes tes vilenies, tes bassesses et ta formidable médiocrité. Médiocrité orgueilleuse ! qui plus est. Et que dire de tes grosses saloperies... Parce qu'il y en a ! pour chacun, et pour tous autant que vous êtes, qui n'avez pas vraiment idée non plus de qui est présent ici, autour de vous, à côté de vous... pas plus qu'eux ne savent ce que nous, toi et moi, savons sur toi et que tu ne voudrais pas qu'ils sachent. Et l'on est particulièrement gâté ce soir ! Vous pouvez me croire...

Or ce n'est pas là le pire... Le pire, c'est l'omission ; tout ce que vous n'avez pas fait ! et que bien sûr vous auriez pu. Ça, c'est impardonnable... Et c'est pourquoi vous allez vous retrouver, plus vite que vous ne le croyez, là où vous vous êtes foutu tout seul. [geignant, grotesque] « Je savais pas... J'le jure ! » Pfff, aucune dignité. Remarque : ça ne changerait rien à votre sort, lequel est de souffrir, à feu vif ! Souffrir dans le souffre mordant, étouffer dans la fumée noire, brûler d'un brasier intérieur atroce ! indéfiniment... jusqu'à ce que... enfin : tout soit consumé ! et qu'il ne reste rien, pas même un souvenir, si tendre fut-il, y compris d'une bonne action.

Les larmes de vos mères ne suffiront pas à réduire les flammes purificatrices du mal que vous aurez vous-mêmes allumé et constamment alimenté. Elles feront juste un petit pchiiit… en tombant sur les braises irradiantes, ce qui ne fera qu'augmenter votre supplice de les savoir en souffrir, comme seules les mères le peuvent. Qu'il n'y ait même pas de pitié pour elles... car elles ont enfanté le mal, le vrai ! pas celui que vous croyez que je représente. Moi, je ne fais que présenter votre nature profonde, intime. Tous les diables et démons, quel que soit leur degré hiérarchique, ne font rien d'autre que révéler l'ignominie qui vous habite, la secouant juste un peu, pour la réveiller et que vous vous réalisiez en elle.

À qui la faute ? Vaste question... Et ce n'est pas à moi d'y répondre.

Il fait une grosse grimace, plus des gestes obscènes et de mépris, et sort d'un pas vif (à cour), en poussant des cris qui iront diminuant des coulisses.


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