dans les Règles de l'Art

 

Le terme "fresque" est aujourd'hui très galvaudé, et peu de gens en connaissent le sens véritable (premier). Il s'agit d'une technique de peinture murale très ancienne (utilisée, par exemple, dans l'Égypte antique) consistant à employer des couleurs à l'eau qui seront posées sur l'enduit du mur alors que celui n'est pas sec, qu'il est encore frais. Le mot vient en effet de l'italien : depingere a fresco / peindre dans le frais. Or donc il serait plus correct de dire qu'on peint, non pas une fresque, mais à fresque ! (ce qui est très différent de peindre à sec) mais enfin, je reconnais quand même que l'usage a ses droits. Les Romains pratiquèrent une technique mixte, peignant souvent le fond à fresque et les motifs à sec (peinture à la cire), comme j'ai pu le constater en observant de près certaines peintures à Pompéi.

Mes recherches pour connaître le procédé furent difficiles. C'est après mon premier séjour en Italie, à Florence, ému de la particularité du rendu, que j'eus très envie de me confronter à cet art si particulier, usité pendant des siècles et totalement abandonné des peintres depuis. Je demandai conseil au plus qualifié de mes anciens professeurs des Beaux-Arts qui me répondit n'en avoir aucune idée. Finalement, c'est à Beaubourg (temple de l'art moderne) que j'ai déniché un traité ancien, écrit par l'élève d'un élève de Giotto. L'ennui, c'est qu'il ne parle guère des proportions et qu'il emploie des termes pour des produits dont j'ignorai totalement à quoi ils pouvaient correspondre… Il fallut expérimenter, et c'est ce que je fis pendant environ 3 semaines, lorsque je fus sur mon premier chantier. Celui-ci se trouvait dans une grande et belle maison d'un petit village du Gard, bâtie sur une partie des ruines d'un castel médiéval (de Templiers, à ce qu'on m'a dit), le propriétaire étant architecte et père d'une amie qui y habitait.

L'enduit est le composant capital et sa maîtrise n'est pas aisée. En fait, il y en a 3 couches successives, avec les mêmes matériaux dans des proportions différentes. Il ne peut être posé que sur de la pierre, du ciment ou de la brique, et absolument pas sur du bois ou du plâtre. C'est un mélange de sable de rivière et de chaux (totalement éteinte ; certains ayant eut recours aussi à de la poudre de marbre), les deux premières couches étant plus fortement chargées en sable, tandis que l'ultime – qu'on appelle : intonaco – contient plus de chaux. Comme la peinture est à l'eau, elle pénètre facilement et en profondeur dans le mortier frais ; celui-ci, en séchant, va emprisonner solidement les particules du pigment, grâce au silicate du sable et au carbonate de la chaux, formant une couche très lisse, dure et imperméable (n'ayant besoin d'aucun vernis) qui peut rester à peu près intacte pendant des milliers d'années… (selon les conditions de conservation). Après avoir posé et laissé sécher les deux premiers enduits, on ne place l'intonaco que sur la surface sur laquelle on travaillera dans la journée, enlevant les excédents après le tracé des formes. Comme cela sèche assez vite, il faut régulièrement passer la surface à la truelle (ou au couteau) en appuyant assez pour faire remonter l'humidité mais pas trop pour ne rien abîmer… Il y a ainsi de multiples contraintes dont je ne ferais pas le détail ici, restant dans les grandes lignes. Mon ouvrage PINGO relate(ra) tout cela avec plus de précisions.

Le tracé se fait au préalable sur un dessin grandeur nature sur papier (j'ai utilisé un rouleau de kraft blanc). À la Renaissance, ils utilisaient une molette dentelée de pointes qu'ils passaient sur les contours, ce qui le perforait d'une continuité de petits trous. On plaçait alors le modèle sur l'enduit frais et on tamponnait avec un petit sac contenant de la poudre colorée qui passait au travers du sac, pénétrait dans les trous et restait fixée dans l'enduit. Il fallait ensuite repasser les contours d'un fin tracé, et l'on pouvait commencer à peindre. J'ai amélioré le procédé en faisant un tracé au fusain (ou à la sanguine) à l'envers du papier (posé sur une vitre, par transparence). Il suffit alors de positionner le papier sur le mur et d'appuyer avec la main sur l'ensemble, les particules du fusain de retrouvant prises dans l'enduit. Je finissais le tracé au pinceau.

La couleur est constituée de pigments en poudre (la plupart d'origine minérale) que l'on va délayer. Une des multiples complications vient que les couleurs liquides se mélangent mal entre elles et qu'il faut donc d'abord mixer les poudres à sec (ce qui n'est guère facile pour préjuger du résultat). Selon le type chimique des pigments mélangés, on aura recourt à un peu de vinaigre ou d'urine pour en faire une pâte (texture dentifrice), laquelle sera délayée dans un mélange d'eau et de bière éventée… La teinte n'est déjà plus du tout la même que lors du mélange à sec. Elle change encore lorsqu'on la pose sur le mur, et encore lorsque le tout est sec… C'est dire que seule l'expérience du procédé peut permettre de travailler un peu moins à l'aveuglette, mais quand même au jugé… Néanmoins, je dois dire que la première fois où j'ai posé délicatement le pinceau sur le mortier frais et que j'ai vu celui-ci absorber la couleur, il s'est passé quelque chose, comme on dit, et j'ai éprouvé une très vive émotion, d'un degré et d'une nature que je n'avais jamais connu auparavant. C'est une des expériences fortes de la mystique de l'art totalement insoupçonnable quand on n'y a pas été confronté. C'est pourquoi (indépendamment de notions d'habileté) j'affirme que :

Qui n'a jamais peint à fresque n'a pas vraiment peint.

 

 

Mort de saint François d'Assises

d'après Giotto

140 × 280 - Rochegude (Gard) - 1983

Pour cette première expérimentation, j'ai jugé préférable de ne pas partir trop à l'aventure et d'avancer plutôt dans les traces d'un maître. Giotto s'est vite imposé, en tant que magnifique devancier de la peinture "adulte", tant par la manière que par l'esprit (humaniste), ce qui en fit le grand précurseur de la Renaissance. J'avais pu admirer cette fresque-ci à Florence et décidai donc, non pas d'en faire une copie - chose impossible pour mon niveau technique – mais de m'en servir de modèle pour guider mes premiers pas maladroits.

 

Modèle

Fresque de Giotto (280 × 450 - vers 1320) - Florence, église Santa Croce.

(clic sur les images pour agrandissement)

 

Les parties altérées sont dues au fait que les fresques furent, au XVIIIème, recouvertes de chaux et qu'il y fut construit un autel. Elles furent redécouvertes au milieu du XIXème.

 

Préparation

 

Ramassage du sable
C'est tout naturellement que j'ai été chercher le sable pour le mortier à la rivière, la Cèze, passant au bord du village.

 

 

Lavage du sable
C'est en lavant et tamisant le sable – pour le débarasser d'impuretés – que j'ai vu briller une multitude de particules. Ce n'était ni plus ni moins que de l'or ! J'ai appris que la rivière en contient assez et, à l'époque, des personnes faisaient profession de l'exploiter. J'en ai récolté un peu, mais c'est un très long travail... et je n'étais pas là pour ça ! C'est donc avec du sable contenant de l'or que je fis mon mortier et sur certains fonds (bleus et rouges), en regardant de très près, on voit les petits points dorés.

 

 

Grattage du plâtre
J'ai dû mettre à nu les briques de la cloison où allait prendre place la fresque, puisque le mortier ne tient pas sur du plâtre. Partie difficile et ingrâte mais terriblement nécessaire, grattant toutes les rainures et le joints, ce qui me prit plusieurs jours.

 

 

Préparation du premier mortier
C'était la première fois que je faisais cela et j'ai trouvé que c'était bien fatiguant car il faut soigneusement malaxer pendant longtemps...

 

 

Pose de la première couche d'enduit
La pose à la taloche n'est pas évidente non plus... Après cette première couche, je l'ai laissée sècher, puis j'en posai une autre, plus fine, avec moins de sable dedans. Quand elle fut sèche à son tour, le travail artistique pouvait commencer...

 

Peinture

J'ai eu le malheur de perdre dans un bus les photos (diapositives) des étapes du travail... et le bonheur de les retrouver (grâce au ciel ! et un anonyme...) aux objets trouvés. Les voici :

 

1er jour
Rien que le ciel... Mais c'est le ciel ! La photo ne rend pas la beauté du bel outremer pur parsemé de petites paillettes d'or. On voit que j'ai inscrit ma devise artistique sur la deuxième couche d'enduit, ainsi que la signature en bas à gauche (qui sera recouverte), avec la mention: A.M.D.G. (Ad Majorem Dei Gloriam / pour la plus grande gloire de D.ieu).

 

 

2ème jour
La partie gauche du ciel ne m'inspirant pas confiance, le lendemain, je décidai de l'arracher. Puis je fis les deux premiers personnages. Je m'étais entrainé sur eux, avant, en les faisant à l'acrylique sur un carreau de terre cuite (voir ICI)

 

 

3ème jour
J'ai pris la liberté de me faire figurer à la place du troisième personnage, à droite (voir détail plus bas).

 

 

4ème jour
La difficulté fut ici surtout de poser l'enduit dans les zones manquantes, sans abîmer les parties déjà peintes.

 

 

5ème jour
Cette image est une reconstitution/montage puisque c'est la seule fois où je n'ai pas pris de photo. Ce jour-là, j'ai réparé le ciel...

 

 

6ème jour
Je me suis enhardi à faire un plus gros morceau d'un coup. La scène est bien encadrée et ça commence à ressembler à quelque chose.

 

 

7ème jour
Comme la photo qui me servait de modèle n'était pas d'une grande qualité, j'ai fait une grosse erreur – tant de vision que de compréhension – avec l'homme dont on ne voit que les mains (en bas de la partie du jour), n'ayant pas réalisé qu'il examinait le stigmate du coup de lance au côté de saint François, que j'ai effacé avec la bure. On notera également que, par rapport à Giotto, j'ai supprimé l'auréole du saint... mais ça c'est volontaire ! Enfin, le moine qui est tourné vers le haut regarde l'âme du saint monter au ciel, ce que je n'ai pas non plus repris.

 

 

8ème jour
Je devais être fatigué, car j'en fis peu ce jour-là. On voit que la photo fut prise le lendemain (au matin du 9ème jour), puisque je viens de poser l'enduit intonaco (à droite).

 

 

9ème jour
Il y avait un personnage (au moins) en plus, mais comme on n'en voit presque rien, je ne me suis pas senti à la hauteur de le reconstituer. C'est un regret.

 

 

10ème jour
C'est après avoir peint le noble (ou juge ?) portant un manteau rouge que j'ai réalisé l'erreur de la plaie.

 

 

11ème jour
J'ai donc restauré la partie du stigmate pour faire apparaître la chair et la plaie. Hélas ! je me suis encore trompé... puisque j'ai cru voir que l'homme en rouge écartait juste le vêtement pour voir la plaie, tandis que chez Giotto il met sa main gauche dedans... Voir ICI.

 

 

12ème jour
Consummatum est.
(agrandissement plus bas)

 


Détails & autres

 

Étapes de peinture :

1 - L'intonaco est posé, le dessin reporté, les contours retracés, et le surplus d'enduit frais ôté.

 

 

2 - J'ai passé en à-plat les couleurs dominantes, par zones.

 

 

3 - L'ajout de valeurs claires ou sombres complète le rendu (qui reste assez sommaire).

 

 

Détails de l'autoportrait (à droite)
On se rend mieux compte de l'épaisseur de l'enduit et de la difficulté de le poser de manière uniforme et sans altérer le reste.

 

 

Détails
Clic sur les images pour agrandissement.

 

 

Facade de la maison
La grande maison est tout en haut d'une colline où est niché un village, étant elle-même en partie dans les ruines de l'ancien château médiéval. Le mur de la fresque se trouve au deuxième étage, entre la première et deuxième fenêtre (que l'on voit de l'intérieur sur les deux photos suivantes), à partir de la droite.

 

 

Au pied du mur !
Photo prise le premier jour, avant de commencer. Sur le bord de la fenêtre, on peut voir les pots de pigments en poudre ; en dessous, 2 briques sur lesquelles je fis des essais ; sur une tablette : un sceau d'eau et de bière (pour les pigments), des assiettes creuses (de mélange), un chiffon, des fusains, des pinceaux, des crayons ; un carton (avec je ne sais plus quoi dedans ; peut-être les petits pots pour la couleur liquide) ; une auge pour faire le mortier et une taloche pour le poser ; des truelles et couteaux ; une bassine ; un escabeau ; une bâche en plastique de protection du parquet.

 

 

Quel chantier...
Photo prise après le dixème jour de peinture. Sur l'escabeau, il y a le livre avec la repro de la fresque de Giotto ; dans la poubelle, de la chaux éteinte en pâte ; à droite, le lit où je dormais.

 

 

Et voilà le travail ! (tout juste achevé).
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On fit enfin une petite fête avec des voisins britanniques qui préparèrent un gigot à la menthe...

 

 

Après l'effort
Soir de bataille...

 

 

Voir ICI des œuvres réalisées sur place, en parallèle.

 


in girum imus nocte

et consumimur igni

100 × 100 - Paris - 1983

 

La peinture à fresque est un art définitif. Ce n'est pas un tableau que l'on décroche et transporte à loisir : là où il est, il ne bougera plus. Or donc, il n'est envisageable d'en faire que pour les propriétaires des murs. Ce fut le cas de mon vieil ami Thierry Bourcy (que je connais depuis le collège et qui m'a souvent aidé), lequel, suite à mes commentaires enthousiastes sur la première expérience, me commanda une fresque pour la chambre de son appartement parisien.

C'est la première fois que j'emploie le format 1 x 1 mètre (et l'on verra son importance dans la partie "a Tempera") qui se prêtait bien à la composition, puisque j'envisageais la peinture comme une enluminure initiale d'une partition musicale (en représentation grégorienne) qui occuperait tout le mur. Les lignes rouges des portées étaient des baguettes de bois peintes. Je voulais y joindre un texte en latin, mais comme mon camarade n'était pas trop porté sur la religion catholique, j'ai pensé à de ce palindrome, utilisé par Guy Debord (que mon ami aimait beaucoup) comme titre d'un film. Pour info, un palindrome se lit de manière identique, lettre par lettre, à l'endroit ou à l'envers. Celui-ci signifie : « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu. » C'est un peu ce que j'ai voulu montrer, mais à ma sauce : le commanditaire émerge des ténèbres (en a-t-il tiré des leçons ?) et, malgré une religion en ruine, c'est vers elle qu'il doit se tourner pour trouver la lumière. Le feu qui consume n'étant pas celui des Enfers ! mais celui de la fusion en D.ieu.

Le mur n'était pas bien fameux, composé de grosses pierres calcaires sur lesquels mon mortier ne prenait pas… au grand désespoir de Thierry qui se lamentait en voyant l'entreprise vouée à l'échec. Doublement énervé, par la difficulté technique et ses jérémiades, je me suis tourné vers lui en l'invectivant : « Homme de peu de foi… » sur quoi j'entonnai un cantique breton (Ô Rouanez karet an Arvor). Le mortier prit aussitôt.

 

 

Vue partielle

 

 

la partie à fresque
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détail
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NON SOLVM ... SED ETIAM

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