dans les Règles de l'Art

1989

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Thème

Les évangiles sont peu diserts sur Barabbas. On nous le présente comme un brigand et un meurtrier ayant été capturé et devant être crucifié. Nous sommes ici de nouveau dans les événements de la Passion, le Vendredi Saint, jour de la crucifixion de Jésus-Christ.

Le personnage de Barabbas entre en scène alors que Jésus comparait devant Ponce Pilate, représentant de l'autorité romaine, seule habilitée à procéder à des exécutions capitales – celle-ci étant réclamée pour crime de blasphème par les autorités religieuses. Pilate doit statuer sur son sort, lequel se joue entre la relaxe (et libération) ou la mise à mort séance tenante… La coutume voulant que l'on relâche un prisonnier pour la fête juive de Pâques, le chef romain proposa à la foule le choix entre Jésus et Barabbas. Jésus le Nazoréen ou Jésus Barabbas ? car les deux portaient le même nom. « Le Fils de l'Homme » ? comme se dénommait lui-même Jésus-Christ, ou « le fils du Père » ? comme signifie le nom araméen : bar-abba, inscrit sur le tableau à la feuille d’or.

La foule choisit la libération de Barabbas et Jésus fut envoyé au supplice. Il convient de s'arrêter un instant sur ce choix qui fut présenté au cours des siècles suivants par l'Église comme une marque (supplémentaire) de la vilenie des Juifs ! préférant un criminel assassin à un homme pacifique, n'ayant jamais fait de mal à personne, et qui plus est ayant accompli des guérisons miraculeuses. C'est une construction spécieuse de propagande pour "grandir" Jésus (comme si c'était possible ou nécessaire ! en voilà un, de blasphème...), ce qui constitua la base de l'infâme antisémitisme au couvert de l'accusation généralisée de : peuple déicide.

On verra le même type de déformation politique dans le récit où Jésus cloué sur la croix dit : « J'ai soif » et que les légionnaires romains lui font porter à la bouche une éponge plantée sur une lance, mais cette éponge étant imbibée de vinaigre. Quels salauds ces Romains ! Sauf qu'il faut savoir que la boisson ordinaire des soldats de l'Empire a toujours été de l'eau vinaigrée, et que ces derniers ont donc offert par compassion ce qu'ils avaient simplement pour eux-mêmes.

Or donc le choix de Barabbas n'est pas plus bête et méchant, et encore moins absurde ou illogique. Celui-ci était un « fameux séditieux » le mot est important, car il désigne quelqu'un ayant participé à une révolte concertée contre l'autorité publique, crime gravissime aux yeux des Romains. On sait que cela se passa à Jérusalem, mais pas quand ; peut-être après l'entrée triomphale de Jésus dans la ville ? la foule pensant qu'il était Celui qui allait les libérer de l'occupation militaire romaine.

Ce ne fut pas le cas et cela donna peut-être l'occasion aux groupes prônant le recours à la force de passer à l'action. Ces groupes sont connus sous le nom de Zélotes et l'on soupçonne Judas Iscariote d'en avoir fait partie et d'avoir vendu son maître (peut-être sur ordre) parce qu'il ne croyait plus que ce dernier puisse être "le grand libérateur" et qu'il ne devait plus susciter de vaines espérances. Aussi, il faut se représenter la scène (que je transpose avec hardiesse pour mieux faire comprendre les enjeux) : Klaus Barbie demande aux Français s'ils veulent qu'il libère Jean Moulin ou un pauvre type qui les a abusé en leur donnant de faux espoirs…

On peut supposer que Barabbas assista (peut-être secrètement) au supplice de celui dont il aurait pu/dû prendre la place. Aucun écrit ne l'atteste et, quoi qu'il en fut, je prends en tout cas résolument le parti de croire qu'il a reçu (peu importe où) la révélation sur ce qu'il lui était arrivé, ayant été de facto le premier homme sauvé par le Sacrifice du Christ. C'est une dimension symbolique importante et si l'Église n'a pas voulu le mettre en avant, c'est probablement parce qu'il avait du sang sur les mains. J'aurais tendance à penser : raison de plus ! Jésus aussi ayant du sang sur les mains (le sien)... Autre parallèle intéressant.

Je les montre bien, les mains de Barabbas qui pendent, désormais impuissantes. Il est face contre ciel ; peut-être au pied de la croix, ou ailleurs, lorsqu'il comprend, à la fois abasourdi et exalté, que celui qui vient de mourir était bien le Grand Libérateur… plus grand encore que tout ce qu'il avait pu imaginer.

À mon sens, on boucle ici le cycle de l'Ecce homo. Ce sont les paroles de Pilate lorsqu'il présente le Christ à la foule, sanguinolent des flagellations et de la couronne d'épine : « Voici l'Homme. » C'est à la fois cet homme en particulier et l'humanité, donc avec un petit et un grand « H ». Les évangiles furent écrits en grec – et c'est probablement en grec que Pilate s'adressa à la foule –, or c'est le mot : « ἄνθρωπος / anthrôpos » qui est employé. Et que veut-il dire ? Son étymologie est incertaine et sujette à débat. Plusieurs hypothèses s'opposent, mais il y en a deux (dont l'une de Platon) qui convergent au final (par des chemins différents) et qui donnent : « celui qui regarde vers le haut. » C'est donc une définition de l'humain en tant qu'Homme spirituel ! Peut-être se distinguant là de l'animal. Certes, il a les pieds sur Terre, mais l'esprit tendu vers l'abîme qui l'aspire.

 

Modèle

Voici la photo m'ayant servie pour ce tableau, où je me suis mis en situation pour être mon propre modèle (ce qui diffère radicalement d'un autoportrait) et n'ai donc pas fait ensuite divers croquis de pose mais un report tracé sur papier kraft, puis sur le tableau.

 

 

Texte

Je ne voyais pas quoi écrire d'autre que son nom (se lisant de droite à gauche). On peut aussi le voir comme sa pensée (ou sa voix) reconnaissant le Fils de l'Homme comme le Fils du Père. J'ai voulu que l'écriture soit de l'araméen puisqu'étant la langue usuelle pratiquée en ces lieux et temps. N'ayant pas trop de documentation (Internet n'existait pas), je suis parti de ce j'ai trouvé dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, choisissant la forme syriaque. J'ai commis une faute en mettant deux R au lieu d'un ; ayant trouvé diverses graphies, j'ai pris celle avec deux R (resh) pour équilibrer les deux B (beth). Ceci dit, j'ai été un peu vite et j'aurais sans doute dû faire plus de recherches, mais j'étais trop pressé de voir le résultat.

 

 

Peinture

Je n'ai pas fait de photos de l'avancée de la peinture, sans doute parce qu'elle fut rapide puisque l'ensemble ne me demanda pas plus d'une semaine (contre un an et demi pour la Pietà). Je me souviens juste avoir eu du mal avec l'éclairage du cou et des mains. En revanche, l'emploi de glacis sur le vêtement du haut me facilita le rendu. J'aime son aspect sommaire de près, faisant effet avec un peu de recul. J'en ai bien évidemment supprimé les motifs brodés et ai arrangé son drappé pour le rendre plus marqué et plus impressionnant (mélodramatique).

(je suis en attente de meilleures photos ; celles-ci étant très en dessous de l'original)

 

 

 

 

 

Signature

On notera qu'alors que les deux premiers furent signés avec ma signature civile, celui-ci adopte la formulation latine traditionnelle des peintres (usant de leur prénom seul) : PETRVS PINXIT : Pierre a peint [ceci] / MCMLXXXIX : 1989 / ANNO ÆTATIS SVÆ XXXI : dans l'année 31 de son âge. Alors que Petrus n'était que la traduction en latin de Pierre, cela me plut, à l'usage, et devint tout naturellement (sans préméditation) mon nom d'artiste.

 

 

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