Le moule de la normalité (de facto artificielle) est un modèle de type fasciste, donc dégénéré, puisque la diversité naturelle est essentielle à la vie. J'ai surtout voulu l'illustrer par ces infâmes poupées (toutes blondes aux yeux bleus) qui ont colonisé l'imaginaire des petites filles d'une très grande partie du monde, sur des décennies, comme un fléau mental imposant une conformité consumériste et totalement artificielle. Les plumes ajoutent au caractère factice et grotesque de ces volailles en batteries au mode de vie très encadré dans un collectivisme de consommation servile. Elles étaient au départ multicolores (voir la 1ère version ci-dessous), mais je trouvais que ça brouillait un peu l'image et je n'ai mis que des bleues, condensant l'effet visuel dans une allégorie de piscine de série américaine. J'ai encore hésité à planter de gros clous dedans... pas par fétichisme pervers, mais pour les réduire à des créatures maudites clouées à la porte des obscurantismes. C'eut probablement été un peu trop et troublant le message vers des zones inappropriées.

En juin 2016, ayant constaté que la couleur des plumes bleues avait passé, je décidai de les recolorer à la bombe, dans une teinte vive. Cela enchaîna une version complète (avec le grand fond) en couleurs criardes : poupées peintes dans un rose très artificiel, avec des cheveux jaune primaire, leur otant leurs dernières véléités de naturel. Le fond sable était décidé depuis longtemps. J'ai aussi arrangé les coiffures et mis des lettres plus grosses.

Dans cette vision stérile du monde, j'en fustige certains avatars comme la mode, et plus précisément en ce qu'elle est devenue, étant moins la mode des vêtements que la mode des mannequins… C'est pourquoi les poupées sont nues.

Très indépendamment des créations proprement dites, la haute couture est une forme d'art totalitaire puisqu'elle impose un modèle de beauté unique, exclusif, sensé être universel et absolu – sorte de plasticage de la sensualité charnelle. Les pitoyables déclarations d'un Karl Lagerfeld lâchant que : « personne ne veut voir des femmes rondes dans la mode ! » ne font que renforcer un état d'esprit aussi étriqué que la taille des modèles. S'il fallait effacer les femmes rondes de l'art, il ne resterait qu'Egon Schiele...

Toute forme d'art a deux faces : la première en création (dont je ne conteste pas la valeur chez un couturier) et la seconde en destination. L'art n'est pas fait par tous (non, tout le monde n'est pas artiste…) mais il est fait pour tous ! (oui, tout le monde doit avoir accès à l'art) ce qui n'est pas le cas de la mode. Imagine-t-on d'interdire une exposition, un concert, une librairie (etc.) à certaines personnes au prétexte qu'elles n'ont pas les critères physiques requis par l'auteur ? Ce serait une absurdité ignominieuse et c'est pourquoi ce qu'on nous présente comme art de la mode n'est qu'une monstruosité – juste assez pédante pour faire illusion.

Ne faudrait-il pas non plus qu'au théâtre et au cinéma, les acteurs et actrices soient tous d'un physique "irréprochable" ? Tout ce cirque est d'autant plus déplorable qu'il existe en coulisse, pour la fabrication, des quantités de magnifiques artisans exerçant leurs talents dans bien des domaines et dont le savoir-faire est un trésor. Hélas, un si beau travail est (prétendument) mis en valeur par des filles/cintre (et cintrées) en fil de fer ! ayant autant d'humanité en rapport…

Mannequin, cela veut dire : « petit homme », et c'est en effet une humanité réduite sur tous les plans qui est présentée comme idéal aux foules. Les femmes de la mode ne sont que de froides imitations, des grossières contrefaçons, de pâles copies mortifères des femmes véritables, authentiques, vivantes ! qui sont charnelles, dans toute la plénitude de la chair. La plastique, ce n'est pas le plastique.

Enfin, l'on peut en avoir encore une lecture radicalement différente et considérer que c'est une représentation symbolique visant l'homophobie...

Autres textes envisagés : C'est normal d'être belle / C'est beau d'être normale / Normalement belles.