janvier 1999
J'étais en villégiature chez mon cousin Denis, lequel disposait de matériels intéressants : un magnétophone numérique 16 pistes (Roland VS-1680), un excellent micro cardioïde (Neumann), un grand clavier maître midi, lequel était connecté à un synthétiseur (rack) (Roland JV-1080). |
C'est avec ces beaux outils que je fis également la série d'improvisations musicales (en multipistes) : « ImproviStations I » et celle d'enregistrements de mes textes : « Sparsæ Partes ». |
Et donc, j'eus envie de tester l'enregistrement d'un texte sur lequel je ferai des impros en fond. Mon choix se porta sur Lautréamont et ses Chants de Maldoror car je voulais quelque chose de frappant ! ayant un certain goût pour le lyrisme – malgré le fait que je n'ai jamais pu lire beaucoup de ce livre, car je suis un garçon très sensible et que c'était trop pour moi... |
J'ai fait un pacte avec la
prostitution afin de semer le désordre dans les familles. Je
me rappelle la nuit qui précéda cette dangereuse
liaison. Je vis devant moi un tombeau. J'entendis un ver luisant, grand
comme une maison, qui me dit : « Je vais
t'éclairer. Lis l'inscription. Ce n'est pas de moi que vient
cet ordre suprême. » Une vaste
lumière couleur de sang, à l'aspect de laquelle
mes mâchoires claquèrent et mes bras
tombèrent inertes, se répandit dans les airs
jusqu'à l'horizon. Je m'appuyai contre une muraille en
ruine, car j'allais tomber, et je lus : « Ci-gît un
adolescent qui mourut poitrinaire : vous savez pourquoi. Ne priez pas
pour lui. » Beaucoup d'hommes n'auraient peut-être
pas eu autant de courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue
vint se coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec
une figure triste : « Tu peux te relever.
» Je lui tendis la main avec laquelle le fratricide
égorge sa sœur. Le ver luisant, à moi :
« Toi, prends une pierre et tue-la. - Pourquoi ? lui dis-je.
» Lui, à moi : « Prends garde
à toi ; le plus faible, parce que je suis le plus fort.
Celle-ci s'appelle Prostitution. » Les larmes dans les yeux,
la rage dans le cœur, je sentis naître en moi une
force inconnue. Je pris une grosse pierre ; après bien des
efforts, je la soulevai avec peine jusqu'à la hauteur de ma
poitrine; je la mis sur l'épaule avec les bras. Je gravis
une montagne jusqu'au sommet : de là, j'écrasai
le ver luisant. Sa tête s'enfonça sous le sol
d'une grandeur d'homme; la pierre rebondit jusqu'à la
hauteur de six églises. Elle alla retomber dans un lac, dont
les eaux s'abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant
un immense cône renversé. Le calme reparut
à la surface; la lumière de sang ne brilla plus.
« Hélas ! hélas ! s'écria la
belle femme nue ; qu'as-tu fait ? » Moi, à elle :
« Je te préfère à lui ;
parce que j'ai pitié des malheureux. Ce n'est pas
ta faute, si la justice éternelle t'a
créée. » Elle, à moi :
« Un jour, les hommes me rendront justice ; je ne t'en dis
pas davantage. Laisse-moi partir, pour aller cacher au fond de la mer
ma tristesse infinie. Il n'y a que toi et les monstres hideux qui
grouillent dans ces noirs abîmes, qui ne me
méprisent pas. Tu es bon. Adieu, toi qui m'as
aimée ! » Moi, à elle : «
Adieu !Encore une fois : adieu ! Je t'aimerai toujours !...
Dès aujourd'hui, j'abandonne la vertu. »
C’est pourquoi, ô peuples, quand vous entendrez le
vent d'hiver gémir sur la mer et près de ses
bords, ou au-dessus des grandes villes, qui, depuis longtemps, ont pris
le deuil pour moi, ou à travers les froides
régions polaires, dites : « Ce n'est pas l'esprit
de Dieu qui passe : ce n'est que le soupir aigu de la
prostitution, uni avec les gémissements graves du
Montévidéen. » Enfants, c'est moi qui
vous le dis. Alors, pleins de miséricorde, agenouillez-vous
; et que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent de longues
prières.
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